vendredi 22 février 2013

Lord Baltimore

Lire le premier tome des  aventures de Lord Baltimore c’est rencontrer un homme dévoué, une sorte de Croisé qui connaît le prix de son engagement.

Les conteurs Mignola et Golden possèdent ce talent indéniable qui les autorise à reprendre tous les poncifs éculés. Pour le décor et les personnages, ils n’ont pas hésité: un village de nuit sinistrement isolé sur une île hantée, une vieille sorcière hideuse, des symboles religieux aux pouvoirs telluriques dans un monde où les vampires ont le pouvoir de nuire.

Tout cela pour démarrer une histoire au mois d’août 1916, à Villefranche, en France. Là, un zeppelin allemand flotte au-dessus de la ville. En dessous, dans la campagne, il n’y a pas que des chaumières. Dans les rues, un unijambiste, doté d’une jambe de bois, pourfend les vampires en uniformes gris. Cet homme, armé d’une épée, d’une hache et d’un harpon, éradique tous les morts vivants qui tentent de remonter dans le dirigeable. Arrive la foudre qui vient l’aider en grillant les traînards. Un peu fatigué par son œuvre salvatrice, Lord Henry Baltimore est hébergé chez la sorcière se targuant d’être à l’origine du foudroyant coup de main.

Les codes littéraires du vampire et du chasseur, initiés par Bram Stocker, sont tous là. L’ambiance glauque des planches se marie idéalement à la fin de la civilisation incarnée par la guerre de 1914-1918. Chez ces auteurs le destin s’avère implacable, la mention pour lecteur averti n’est pas superflue.

Lord Baltimore de Mike Mignola, Christopher Golden et Ben Stenbeck aux éditions Delcourt album 125 pages, 14,95 euros

vendredi 15 février 2013

Ikigami-Préavis de mort

Le tome 10 du manga Ikigami-Préavis de mort est le final d’une série culte qui fut couronnée en 2010 par un prix aux Japan Expo Awards, ainsi que par le Grand Prix de l’Imaginaire lors du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo.

L’auteur, Motorô Mase, a inventé un monde imaginaire. Dans ce pays qui n’existe pas, tous les enfants sont vaccinés lorsqu’ils sont admis à l’école. Mais, sur décision de l’État, un vaccin sur mille contient une micro-capsule. Celle-ci explosera lorsque la jeune personne aura atteint un âge compris entre 18 et 24 ans, causant ainsi son décès.

Le fonctionnaire Fujimoto a reçu pour mission de livrer le préavis de décès dans sa circonscription. L’«ikigami» prévient de l’explosion de la capsule sous 24 heures. Depuis qu’il livre ces annonces Fujimoto en est venu à se poser des questions interdites sur cette loi appelée «Loi pour la prospérité nationale». Comme toute loi, elle repose sur les rouages d’une administration. Mais quelle est la théorie politique du régime qui est à l’origine de cette loi? L’éveil des consciences individuelles s’amplifie. Dans ce dernier opus, le personnage conducteur de tous les récits en devient l’acteur principal. Quel choix l’individu peut-il faire quand il est confronté à l’arbitraire? Au nom du bien commun combien d’erreurs sont-elles commises à l’encontre d’un seul? «Vaste programme», a répondu un grand homme.

Ikigami-Préavis de mort de Motorô Mase aux éditions Kazé,208 pages, 7,99 euros

vendredi 8 février 2013

L’assassin qui est en moi

Paru en Série noire sous le titre Le Démon dans la peau, réédité sous celui de L’Assassin qui est en moi en 2010, c’est la première traduction intégrale de ce livre. Né en 1906 d’un père shérif d’une ville de ploucs, Jim Thompson mourra scénariste et alcoolique à Hollywood en 1977. Écrivain dès son adolescence, «le grand Jim [...] s’est forcé à tout voir, tout écrire, tout publier», comme le résume si bien l’auteur Stephen King en une phrase. Son œuvre littéraire connaîtra une gloire posthume en rééditions, au bénéfice de sa veuve Alberta H. Thompson. Le public français ignore souvent que les cinéastes ont adapté avec bonheur certains de ses livres, notamment Série noire d’Alain Corneau et Coup de torchon de Bertrand Tavernier. Le propre de l’écriture de Thomson: des dialogues grandioses, alliés à une sublime empathie pour les protagonistes. Quand ils sont ravagés, on est au mieux avec eux.

Écrit à la première personne, le roman raconte l’histoire d’un policier pas encore trentenaire qui a commis son premier meurtre à dix-sept ans. Ce brave Lou Ford est un schizophrène. Son oncle et père adoptif, médecin de campagne, l’a fait stériliser. Il est mort de chagrin quand son propre fils a été assassiné. Lou ne vit plus que pour se venger. Et d’une manière horrible, une façon d’assouvir sa haine à l’encontre des responsables de la mort des deux personnes qui comptaient pour lui, sa seule famille. Affectés par son comportement, l’oncle et son fils aimaient pourtant cet orphelin étrange. En retour, ce jeune homme déviant les chérira pour toujours. Et ceux qui sont restés vont tous le payer très cher.

L’assassin qui est en moi de Jim Thompson aux éditions Rivages/Noir 270 pages, 8,65 euros



vendredi 1 février 2013

La fille de Narcisse

Craig Holden est publié depuis 1986. Auteur, conférencier, il fut, en juin 2004, l’invité du septième Festival international de Frontignan sur le thème «Intimité et roman noir». Le présent ouvrage est paru en 2005 aux États-Unis.

Bâti sous la forme autobiographique, l’histoire commence en 1979 par l’arrivée d’un jeune homme en colère devant le porche de la villa cossue de son ex-employeur. Pourtant, l’été précédent, grâce à sa bosse des maths alliée au charme d’une jeunesse éclatante, tout avait bien commencé pour lui. Des débuts virils pour un jeune homme sensible, qui sera sollicité par la femme de son riche patron. Tous ces événements n’étaient pourtant pas le fruit du hasard, il a été subtilement manipulé. Le narrateur, issu d’un milieu très modeste, pense n’avoir plus rien à perdre. Son père l’a fui dans son enfance, sa mère est morte d’un cancer à son adolescence. Cette fin prématurée a détruit son beau-père, le mécanicien amoureux devenu alcoolique. Sa jeune sœur est une beauté défigurée par un angiome facial. L’Adonis ulcéré veut se venger en utilisant la fille de ce couple de voyeurs. Cet a priori d’une force qu’il croit avoir en lui lui fait oublier sa faiblesse, celle d’un jeune naïf, prêt à tomber amoureux d’une fille toute simple mais plus dégourdie que lui.

Dommage toutefois que le récit devienne mièvre. On reste sur sa faim avec l’annonce d’une mort retardée pour une fin heureuse dans une bonne maison de la banlieue huppée.

La fille de Narcisse de Craig Holden aux éditions Rivages/Noir 305 pages, 9,15 euros.